Vers un devoir de diligence fiscale

Jan Tuerlinckx

Lors de la dernière crise du crédit, un entrepreneur néerlandais s'est retrouvé dans une situation difficile avec son entreprise. Il a trouvé une solution créative : il a demandé à son assureur le capital pension qu'il s’était constitué et l'a temporairement injecté dans sa société, avec l'intention de rembourser ce capital dès qu'il disposerait à nouveau de moyens financiers. Mais c’était sans compter le fisc. Si le capital pension est prélevé avant terme, il doit être imposé. Pas dans le cadre du système fiscal avantageux par lequel les autorités encouragent leurs citoyens à épargner pour leur pension, mais à plein pot.

L'entrepreneur néerlandais a décidé de ne pas se laisser faire sans se battre. Il a fait objection et a suivi toute la procédure fiscale, avant de comparaître une décennie plus tard devant le Hoge Raad, l'équivalent de la Cour de cassation belge. Il a fait valoir que l’administration traitait d'autres personnes plus favorablement et que sa situation personnelle n'avait pas été prise en compte. Mais il a également battu en retraite devant le Hoge Raad.

René Niessen, l'avocat général du Hoge Raad, a pourtant maintenu le suspense. Il a demandé si les autorités n’ont pas un devoir de diligence envers les citoyens. Le droit fiscal est un dédale dans lequel même le conseiller fiscal le plus expérimenté se perd souvent. Sans compter que le malheureux entrepreneur n’avait probablement pas les connaissances préalables suffisantes... Il était en outre évident que ce dernier n'avait joué aucun tour de passe-passe fiscal, ce qui plaidait en sa faveur. Il s'agissait d'un cas où « un contribuable non spécialisé en droit fiscal se fait prendre au piège de la fiscalité ».

 

Le devoir de diligence de l’administration fiscale envers le contribuable est l'un des principes généraux de la bonne gouvernance.

René Niessen a énuméré la législation qui protège les citoyens dans diverses situations où ils sont confrontés à une complexité qui dépasse leur compréhension. Les employeurs ont par exemple un devoir de diligence particulier envers leurs travailleurs et les banques ont un devoir de diligence envers leurs clients. Et les règles MiFID, sont-elles différentes ? Elles ont introduit dans toute l’Europe le principe selon lequel les institutions financières doivent veiller à ce que les investisseurs soient protégés, tant contre les institutions financières que contre eux-mêmes. Le fait est que les investisseurs ne disposent pas toujours de l'expertise suffisante pour prendre une décision en connaissance de cause.

Pourquoi les autorités ne devraient-elles pas elles-mêmes s’en tenir à un devoir de diligence ? L’absence de législation en la matière ne doit pas poser problème. René Niessen déduit ce devoir de diligence d'un certain nombre de lois du droit administratif. Il conclut que le devoir de diligence de l'administration fiscale envers le contribuable est l'un des principes généraux de la bonne gouvernance. En droit belge aussi, on peut construire un raisonnement exactement de la même manière, qui conclut au même principe général de bonne gouvernance. Qu'a fait le Hoge Raad de l'argumentation que l'avocat général a avancée de sa propre initiative ? Rien. Le Hoge Raad a ignoré la question et ne s'est pas prononcé sur celle-ci. Une occasion manquée très regrettable. Mais les débats ne sont pas clos pour autant. Au contraire : dans une décennie, il s'avérera que le plaidoyer de l'avocat général était un coup de semonce. Le débat sur la nouvelle relation juridique entre l'administration fiscale et le contribuable pourra alors commencer. Et espérons que l’avocat général néerlandais obtiendra alors la place qu'il mérite, en tant que le Montesquieu de la nouvelle relation juridique fiscale. C'est un homme comme je les aime.

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