L’ E=mc2 de la fiscalité
À peine le brouhaha suscité par le tax-shift est-il retombé que voici déjà apparaître une nouvelle proposition susceptible de transformer notre édifice fiscal : le système d'imposition différenciée.
Petite mise en contexte. Dans sa lutte incessante contre l'évasion fiscale agressive, l’Europe a déjà signalé à la Belgique que son système fiscal fait de déduction d’intérêts notionnels, d’excess profit rulings et d'un régime particulier pour les brevets permettait aux grandes entreprises de ne pratiquement plus payer d’impôts. Le ministre des Finances a senti venir l’orage et a donc lancé une proposition prudente visant à instaurer un système d'imposition différenciée à l’impôt des sociétés, selon lequel les entreprises pourraient opter pour un taux de 33,99 % avec maintien de la déductibilité des intérêts notionnels ou pour une taxation à un taux fixe de 20 à 22 % sans déduction. Cela devrait décourager les entreprises de quitter la Belgique lorsque les mesures anti-abus plus sévères prévues par la directive BEPS seront transposées en droit belge.
Au vu de la tendance actuelle à l’alourdissement des impôts, cette proposition s’apparente à un réel soulagement pour les petites entreprises. Une baisse d’impôts de 34 % à 20 % représente une diminution de pas moins de 41 %. Ne vous laissez toutefois pas tromper par les apparences, car cette proposition ne doit rien à la magie d'Houdini... Opter naïvement pour le second régime peut, en effet, avoir de funestes conséquences. Le Trésor belge ne perdra pas au change, alors que le contribuable peut y laisser gros. Toute la question consiste donc à savoir quand un système est plus avantageux que l’autre.
En comparant mathématiquement les deux régimes d'imposition, il est possible de calculer le moment pivot, celui auquel le choix est clair. En bref, le point à partir duquel il est plus avantageux pour une entreprise de passer d'une méthode à l’autre. Nous avons fait le test. En partant du bénéfice fiscal (à distinguer du bénéfice comptable) et en tenant compte d'un taux de déductibilité des intérêts notionnels de 1,6 %, nous sommes arrivés à la conclusion suivante :
- (B-1,6/100 FP) . 34/100 = 20/100 B
- 34/100 B- 54,4/10000 FP= 20/100 B
- 34/100 B - 20/100 B = 54,4/10000 FP
- 14/100 B=54,4/10000 FP
- (14 . 10000)/(100 . 54,4) B = FP
- 25,73 B = FP
- B = FP/(25,73)
B=bénéfice | FP = Fonds propres
La taille de l’entreprise n’a aucune incidence dans le calcul. Seul le rendement compte. Si le bénéfice est inférieur à 25,73 fois les fonds propres (corrigés), le régime avec déduction des intérêts notionnels reste plus avantageux. En d’autres termes, les entreprises qui présentent un rendement inférieur à 3,8 % (pour la comptabilité fiscale) ont intérêt à choisir la déduction des intérêts notionnels. Les entreprises qui obtiennent un score supérieur sur les mêmes paramètres ont plutôt intérêt à opter pour le taux de 20 %. Si le gouvernement retenait finalement le taux fixe de 22 %, les entreprises devraient atteindre un rendement minimum de 4,5 % pour justifier ce régime. Un taux fixe de 28 % exigerait même un rendement minimal de 9,07 %.
Les entreprises doivent donc rester sur leur garde lorsque le landernau politique propose avec euphorie une simplification de la fiscalité qui les concerne. Elle n'est pas nécessairement meilleure pour le portefeuille. Et pour concrétiser un avantage fiscal, se pose donc toujours la question de faire un choix en toute connaissance de cause. Win or lose? Choose to win!
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