La non-déclaration d'un compte étranger ne démontre pas une intention frauduleuse
Dans le cadre d'un contrôle CRS/FATCA, l'absence de déclaration du compte bancaire étranger et des revenus reçus sur ce compte ne sont pas des éléments suffisants pour démontrer l'intention frauduleuse. Sur cette seule base, le délai d'imposition pour fraude fiscale n'est pas applicable. Le tribunal n'a pas suivi la position standard du fisc. (Trib. Anvers, 3 mai 2021, 20/1393/A). Mais les contrôles des comptes étrangers soulèvent d'autres questions intéressantes.
Depuis quelques années, sur la base des informations reçues dans le cadre de l'échange d'informations international CRS (Common Reporting Standard) et FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), l'administration procède à la taxation des revenus mobiliers (dividendes, intérêts, etc.) non déclarés perçus sur un compte détenu à l'étranger.
Des contrôles standardisés
Les informations CRS et FATCA portent sur le ou les comptes bancaires qu'un résident fiscal belge détient à l'étranger. De manière générale, outre les données d'identification du titulaire (ou bénéficiaire) du compte à l'étranger et de l'institution financière dans laquelle le compte est détenu, le fisc belge obtient des informations sur le solde du compte au 31 décembre de chaque année ainsi que le montant brut des intérêts et dividendes perçus. Le produit de la vente d'un actif financier provenant d'un compte titre est également communiqué.
Sur la base de ces données, le fisc procède au contrôle des contribuables qui détiennent un compte à l'étranger. Concrètement, elle rassemble toutes ces informations dans une gigantesque base de données. Les logiciels du SPF Finances recoupent ensuite les informations de cette base de données avec ce que le contribuable a repris dans sa déclaration fiscale belge. Ensuite, des demandes de renseignements et des avis de rectification sont envoyés de manière quasi-automatisée aux contribuables en défaut de déclaration, afin d'imposer les revenus (principalement mobiliers tels que les dividendes ou intérêts) qui n'auraient pas été déclarés.
Où l'intention frauduleuse est quasi systématiquement retenue
Dans le cadre de ces contrôles, l'administration a développé une pratique consistant à retenir quasisystématiquement l'intention frauduleuse dans le chef des contribuables qui ont omis de déclarer leur compte bancaire étranger dans leur déclaration IPP et/ou au Point de Contact de la Banque Nationale belge.
Les conséquences peuvent être lourdes. Premièrement, l'administration appliquera un accroissement d'impôt de 50 % pour absence de déclaration avec intention frauduleuse (art. 444 CIR et art. 226, C AR/CIR 92).
De ce fait, les intérêts de retard seront rétroactifs en vertu de l'article 415 CIR qui prévoit que ceux-ci sont dus à partir du 1er juillet de l'année qui suit l'exercice d'imposition lorsque l'imposition a fait l'objet d'un accroissement d'impôt dont le pourcentage est au moins égal à 50 %. Le délai extraordinaire d'imposition de l'article 358, § 1er, 2°, b) CIR 92 permettant à l'administration d'imposer jusqu'au 7e exercice d'imposition qui précède l'année durant laquelle les données CRS/FATCA ont été portées à sa connaissance, le montant de ces intérêts de retard peut être très élevé.
Deuxièmement, elle appliquera (même si cela est moins fréquent en pratique) le délai extraordinaire d'imposition de 7 ans prévu à l'article 358, § 1er, 2° CIR 92. Ainsi, pour un contrôle exercé en 2021, relatif à des données reçues en 2020, l'administration pourra revenir en arrière jusqu'aux revenus de 2014.
Rappel à l'ordre par le tribunal d'Anvers
L'intention frauduleuse ne se présume pourtant pas. Le fisc doit démontrer, sur la base d'éléments concrets et objectifs, que le contribuable a délibérément choisi de ne pas déclarer les revenus perçus sur son compte détenu à l'étranger afin de dissimuler ceux-ci.
Il est de jurisprudence constante que la simple absence de déclaration de revenus mobiliers (dividendes, intérêts, etc.) ne peut suffire à démontrer l'intention frauduleuse, même lorsque le montant des revenus non déclarés est important (Anvers, 5 novembre 2019, 2018/AR/854 ; Anvers, 18 novembre 2014, 2013/AR/2363 ; Anvers, 3 février 2009, FJF, n° 2010/294 ; Anvers, 29 octobre 2002, FJF, n° 2003/51 ; Cass., 3 janvier 1997, FJF, n° 97/49).
Il en va de même de l'absence de déclaration du compte bancaire détenu à l'étranger (Anvers, 5 novembre 2019, 2018/AR/854). D'autres raisons que la volonté de frauder peuvent expliquer le fait que le compte n'ait pas été déclaré. Il peut s'agir d'un oubli ou d'une ignorance. Bien que nul ne soit censé ignorer la loi, il doit en effet être admis que certains contribuables ne sont pas au courant de la double obligation de déclarer les comptes bancaires qu'ils détiennent à l'étranger. Parfois, principalement dans le contexte de succession, le contribuable n'est même pas au courant qu'il détient un compte à l'étranger et/ou qu'il a reçu des revenus mobiliers sur ce compte.
La pratique de l'administration consistant à retenir systématiquement l'intention frauduleuse lorsque le compte bancaire étranger n'a pas été déclaré pose question, notamment au regard de la jurisprudence précitée.
L'administration vient d'être rappelée à l'ordre par le Tribunal de Première Instance d'Anvers dans un jugement du 3 mai 2021 (Civ., Anvers, 3 mai 2021, 20/1393/A). A notre connaissance, il s'agit de la première décision rendue sur cette question portant spécifiquement sur une cotisation établie à la suite d'un contrôle CRS/FATCA.
L'administration fiscale belge avait reçu des informations des Pays-Bas et d'Allemagne faisant apparaître que les contribuables (un couple) n'avaient pas déclaré des revenus mobiliers perçus de 2013 à 2018 sur des comptes bancaires détenus aux Pays-Bas et en Allemagne. L'existence de ces comptes n'avait également pas été déclarée dans leurs déclarations IPP, ni au Point de Contact Central.
Un accroissement d'impôt de 50 % pour absence de déclaration avec intention frauduleuse avait été établi par l'administration fiscale. Outre le fait que les revenus et les comptes n'avaient pas été déclarés, aucun autre élément n'était apporté par l'administration pour démontrer l'intention frauduleuse. Devant le tribunal anversois, les contribuables contestaient principalement la hauteur de l'accroissement en affirmant qu'ils n'avaient pas déclaré les comptes étrangers par pure ignorance de l'obligation déclarative.
Le tribunal a rappelé que l'intention frauduleuse ne pouvait être automatiquement déduite du seul fait que les revenus mobiliers et les comptes bancaires étrangers n'aient pas été déclarés, même pendant plusieurs années.
Après avoir constaté qu'aucun élément ne démontrait que les contribuables avaient transféré des capitaux belges vers un compte détenu à l'étranger, dans le but précis de dissimuler les revenus de ces capitaux, le tribunal a estimé que le fisc n'apportait aucun élément concret prouvant que les contribuables avaient délibérément induit l'administration en erreur.
Compte tenu de ces circonstances, le tribunal a alors réduit l'accroissement de 50 % à 10 %. Il faut espérer que l'administration modifiera sa pratique après ce jugement. A défaut de quoi, les contribuables seraient obligés de porter leur dossier devant le tribunal, leur réclamation étant quasi systématiquement rejetée.
Des contrôles dont le champ d'application matériel et temporel pose aussi question
L'article 358, § 1er, 2° CIR 92 permet à l'administration d'imposer les 5 exercices d'imposition (ou 7 exercices d'imposition si intention frauduleuse) qui précèdent l'année durant laquelle les informations obtenues de l'étranger ont été portées à la connaissance de l'administration. Par ailleurs, la cotisation doit être établie dans les 24 mois à compter de la date à laquelle les informations sont venues à la connaissance de l'administration belge.
Par la loi du 1er juillet 2016 (M.B., 4 juillet 2016), le législateur a inséré dans le code d'impôt sur les revenus, l'article 333/2 prévoyant que l'administration peut procéder à des investigations dans le délai d'imposition de l'article 358, § 3 (le délai de 24 mois), pour les années mentionnées dans l'article 358, § 1er, 2° CIR 92 (les 5 exercices d'imposition précédant l'année d'obtention de l'information par l'administration).
En effet, certains exercices d'imposition visés par l'article 358, § 1er, 2° CIR 92 pouvaient se situer en dehors du délai ordinaire d'imposition de l'article 333, al. 1 CIR 92 (à savoir trois ans à partir du 1er janvier de l'année qui désigne l'exercice d'imposition).
L'échange d'informations CRS/FATCA est annuel. Chaque année, vers septembre, l'administration reçoit des informations concernant l'année qui précède. Les fiches CRS/FATCA ne portent que sur une année. Dans le cadre des contrôles CRS/FATCA, l'administration considère qu'elle peut toujours procéder à des investigations concernant des revenus perçus pour les 5 exercices d'imposition qui précèdent l'année durant laquelle elle a reçu l'information CRS/FATCA, alors même que cette information ne porte que sur une année. Autrement dit, par exemple, des données CRS/FATCA, reçues en 2020, portant sur des revenus perçus en 2019, justifieraient des investigations sur les années de revenus 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019. Pourtant, les informations reçus ne portent que sur l'année 2019.
Cette pratique de l'administration fiscale pose question, notamment au regard de l'exposé des motifs de la loi programme du 1er juillet 2016 ayant adopté l'article 333/2 CIR 92. En effet, il y est indiqué que le délai d'investigation spécial de l'article 333/2 vise à permettre à l'administration d'effectuer des investigations lorsque les informations CRS/FATCA reçues ne sont pas suffisantes pour établir la cotisation : « Dans l'état actuel de la législation, il existe uniquement un délai d'imposition de 24 mois (art. 358, § 3, CIR 92) lorsqu'un contrôle ou une enquête, effectué par l'autorité compétente d'un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition en rapport avec un impôt auquel cette convention s'applique, fait apparaître que des revenus imposables n'ont pas été déclarés en Belgique. Cela signifie que les informations obtenues de l'étranger doivent suffire pour établir une imposition sans
l'exécution d'investigations complémentaires.
Etant donné qu'un grand nombre d'informations étrangères sont pour l'instant le résultat d'un échange automatique de données qui n'a été précédé d'aucun contrôle, il est nécessaire de faire du délai d'imposition existant pour les informations étrangères de 24 mois un délai d'investigation de telle manière que, si nécessaire, des investigations complémentaires peuvent être effectuées, même si le délai
d'imposition ordinaire de 3 ans est expiré » (exposé des motifs de la loi programme du 1er juillet 2016, Doc Parl. 54-1875/1, 33-34).
Il ressort donc clairement des travaux préparatoires que l'objectif de l'article 333/2 est uniquement de permettre des investigations supplémentaires dans l'hypothèse où l'information CRS/FATCA serait insuffisante pour établir l'imposition et que le délai ordinaire d'investigation de l'article 333 serait expiré. L'intention du législateur ne semble donc pas d'avoir voulu permettre que le contrôle soit systématiquement étendu à des années pour lesquelles l'administration n'a pas reçu d'informations CRS/FATCA.
Le champ d'application matérielle des demandes de renseignements de l'administration est également problématique. Les questions standardisées ne portent pas uniquement sur les revenus mobiliers perçus à l'étranger qui font l'objet de l'échange international d'informations mais également sur l'éventuelle utilisation du compte à des fins professionnelles, sur l'éventuelle détention du compte pour la gestion d'un bien immeuble à l'étranger, d'éventuels contrats d'assurance-vie, etc.
Ces demandes de renseignements sont très larges et peuvent donc constituer du fishing expedition. A notre sens, il résulte en effet de l'exposé des motifs de la loi (repris ci-dessous) que les investigations supplémentaires de l'article 333/2 CIR 92 ne devraient permettre qu'à compléter l'information CRS/FATCA reçue. Les questions posées ne devraient dès lors porter que sur les revenus mobiliers perçus pour lesquels l'administration a reçu l'information de l'étranger et ne devraient pas être étendues à d'autres éléments comme d'éventuels revenus professionnels ou immobiliers.
A notre connaissance, aucune juridiction ne s'est déjà prononcée sur cette pratique de l'administration fiscale. Des litiges sont actuellement pendants devant les cours et tribunaux. La jurisprudence devrait donc rapidement apporter des éclaircissements sur la manière dont il convient d'interpréter l'article 333/2 CIR 92.
Cet article peut être lu dans Wolters Kluwer actualités fiscales n° 2021/39, semaine du 6 au 12 décembre 2021