Mais j’ai déjà été sanctionné !
Non bis in idem est un adage bien connu, même en dehors du monde juridique. Cela signifie simplement qu’une personne ne peut être sanctionnée deux fois pour le même fait.
Ce principe – indiscutable – se fonde sur les plus hautes normes juridiques. Tandis que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà récemment relativisé ce principe dans un cas très spécifique, notre propre Cour de cassation semble aller encore plus loin et vider totalement les droits de l’homme de leur substance.
Concrètement, le principe non bis in idem joue quand une série de faits peut entraîner différentes sanctions de nature pénale. La fraude fiscale est le cas d’école par excellence. Elle peut être poursuivie tant sur le plan pénal que fiscal. Ou encore : les mêmes faits peuvent donner lieu à deux procédures de droit fiscal. Concrétisons les choses : une procédure en matière d’impôt sur le revenu et une autre dans le cadre de la TVA. D’autres combinaisons sont bien sûr possibles. Le principe non bis in idem veille à ce qu’un contribuable ne puisse être sanctionné qu’une seule fois..Quand une procédure a déjà donné lieu à une sanction pénale, aucune autre sanction pénale ne peut plus être infligée dans une autre procédure en cours.
Dans son arrêt du 21 novembre 2017, la Cour de cassation semble avoir amorcé une révolution en faisant dépendre le terrain de jeu du principe non bis in idem du moment auquel les différentes poursuites débutent. Il convient de préciser en marge que l’arrêt de la Cour de cassation ne brille pas par sa clarté, ni par sa motivation. Cela veut dire qu’il faut aller chercher plus loin la signification possible de l’arrêt. La Cour de Cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Gand qui a jugé que, en cas de cumul de deux procédures fiscales (impôt sur le revenu et TVA) ayant conduit à une augmentation de la taxation de 200 % dans l’impôt sur le revenu et à une amende de 200 % dans la TVA, le principe non bis in idem ne peut être invoqué par le contribuable. Et ce en vertu de la considération selon laquelle les deux procédures avaient pris cours au même moment. Autrement dit, le principe non bis in idem s’appliquerait uniquement si la deuxième procédure débute après la clôture définitive de la première. La Cour de cassation semble accepter cela étant donné que, dans ce cas, les deux procédures sont étroitement liées sur le plan tant substantiel que temporel.
La Cour de cassation semble accepter cela étant donné que, dans ce cas, les deux procédures sont étroitement liées sur le plan tant substantiel que temporel.
L’arrêt de la Cour de cassation est à première vue contradictoire et aussi discriminatoire. Contradictoire parce que, d’une part, la Cour de cassation fait savoir que les deux procédures doivent être considérées comme une seule procédure mais parce que, d’autre part, elle autorise une double sanction. Même dans une seule procédure, des règles de droit pénal stipulent que les sanctions ne peuvent simplement s’additionner. Discriminatoire parce que la Cour subordonne l’application du principe non bis in idem à la promptitude du fonctionnaire qui conduira la deuxième procédure. S’il se montre alerte et qu’il commence immédiatement son enquête avec son collègue, le contribuable peut être sanctionné deux fois. En revanche, si le fonctionnaire est beaucoup moins alerte et qu’il commence son enquête après avoir appris de son collègue que ce dernier a définitivement gagné sa procédure, le contribuable ne peut être sanctionné deux fois.
Vous pensez peut-être que ce principe non bis in idem ne vous concerne pas car vous ne fraudez pas. C’est un mauvais calcul car, de nos jours, de simples infractions fiscales sont rapidement qualifiées de fraude fiscale. De nombreux contribuables sont donc ravis de pouvoir invoquer ce principe auquel ils n’avaient même jamais pensé.
Cette jurisprudence est regrettable, en particulier parce que l’on fait toute une affaire de la lutte contre la fraude fiscale et que bon nombre de contrôles fiscaux se déroulent sous cette dénomination. Plusieurs batailles juridiques se livreront donc prochainement à propos de ce principe. En particulier parce que cette jurisprudence va à l’encontre de la doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme. Il semble que beaucoup de contribuables devront assouvir leur rage quant à la protection juridique essentielle. Les conseillers feraient mieux de préparer leurs valises pour poursuivre la procédure au plus haut niveau. Et le plus déplorable dans cette histoire, c’est probablement qu’il faudra une fois de plus emprunter la voie internationale pour défendre des intérêts nationaux.
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