Le système européen de mouchards pour les optimisations fiscales
Notre Ministre des Finances annonçait il y a quelques semaines, plus vite que prévu par l’Europe, l’introduction d’une obligation de déclaration pour les experts-comptables et les conseillers fiscaux. Ce sont les planifications fiscales agressives qui feront l’objet de la déclaration. D’après les réactions et les questions de toutes les personnes concernées par les conseils fiscaux, l’attitude à cet égard peut être qualifiée d’« horrifiée ».
Pour la bonne compréhension, il convient de rappeler que les professionnels du chiffre croulent déjà sous les obligations de déclaration et les tâches de contrôle qui ne sont pas directement liées à leur cœur de métier. La loi anti-blanchiment et la loi relative à la continuité des entreprises n’en sont que quelques exemples marquants. La première contraint le professionnel du chiffre à se comporter comme un homme de main de la recherche financière. La deuxième lui impose en plus une tâche de gardien de la continuité économique des entreprises. Et il devrait à présent aussi se comporter en assistant-contrôleur du Ministère des Finances.
L’obligation de déclaration de la planification fiscale agressive n’est toutefois pas une invention de notre Ministre des Finances. Elle a été élaborée par les grands pontes de l’OCDE. En 2012, l’OCDE a déclaré la guerre à l’évasion fiscale internationale jugée inéquitable, qui selon les critiqueurs, n’est ni plus ni moins qu’une boîte à malice fiscale presque sans fond. Cette boîte est remplie de stratégies destinées à user des lacunes et des inadéquations de la législation fiscale pour payer le moins d’impôts possible à l’aide d’un transfert de bénéfices. L’OCDE a baptisé ce plan d’action Base Erosion and Profit Shifting en 2012, aujourd’hui mondialement connu sous l’acronyme BEPS.
Dans le cadre du BEPS, l’agressive tax planning était initialement décrit comme le transfert artificiel de bénéfices vers des régimes fiscaux plus favorables. Mais la définition s’est très vite étendue aux agissements contraires à l’esprit de la loi fiscale. Difficile de faire plus flou comme définition !Dans l’Union européenne, qui est au final responsable de la mise en place de la législation, ce flou peut d’ailleurs compter sur un large assentiment. La Commission décrit la notion comme le fait de profiter de détails techniques ou d’incohérences entre différents régimes fiscaux dans le but de réduire l’impôt. Ce qui peut se présenter sous une multitude de formes. La Commission désigne également « les agissements contraires à l’esprit de la loi fiscale » comme une caractéristique essentielle. Aux États membres de déterminer quel est cet esprit. Nous pouvons en conclure qu’il n’existe pour l’instant pas de définition claire de la notion de planification fiscale agressive. Il convient de remarquer, en marge, que la mise en œuvre à elle seule représentera déjà un sérieux défi pour l’Europe. Le saint graal de l’Union européenne est le libre marché unique intérieur, en ce compris le droit d’organiser les matières fiscales de la façon la plus favorable au-delà des frontières. Cela créera donc inévitablement une zone de tension avec la planification fiscale agressive.
Certains se demandent haut et fort combien de ces obligations de déclaration leur profession pourra encore supporter.
La Belgique compte plusieurs réglementations fiscales très utiles aux tours de passe-passe de l’optimisation fiscale internationale. Pour n’en citer que quelques-unes : la déduction des intérêts notionnels ou les régimes de faveur relatifs aux droits de propriété intellectuelle. Autre constatation : la Belgique se montre peu critique à l’égard de l’exonération des revenus étrangers. La communauté internationale aimerait que notre pays soit plus critique avec l’exonération de l’impôt à la source (précompte mobilier) par exemple sur les dividendes ou les revenus issus des prêts hybrides. Elle apprécierait également que nous instaurions plus de règles de contrôle. Les techniciens parmi nous ont tout intérêt à se préparer aux règles CFC, aux tests poussés pour les propriétaires bénéficiaires et aux dispositions anti-hybrides.
En vertu de l’obligation de déclaration de la planification fiscale agressive, les experts-comptables, conseillers fiscaux et avocats qui assistent leurs clients dans de tels montages financiers transfrontaliers complexes ou certaines partie de ces montages – et dont on peut supposer qu’ils sont susceptibles de donner lieu à l’évasion fiscale – devront faire une déclaration au fisc belge. La Belgique enregistrera les informations fiscales collectées tous les trois mois dans une base de données internationale centralisée. De cette façon, les informations fiscales pertinentes seront automatiquement échangées au niveau international. Les États concernés, dont la Belgique, pourront donc examiner plus rapidement, plus facilement et en plus grande connaissance de cause les structures et optimisations dans le cadre de l’évasion et de la fraude fiscales.
Tout cela devrait entrer en vigueur au plus tard à la mi-2020 et le premier échange d’informations se déroulera donc encore avant début 2021. L’Europe confie aux États membres le soin de prévoir des sanctions effectives, proportionnelles et dissuasives pour les professionnels qui ne respecteraient pas les obligations de déclaration. La nature précise de ces sanctions n’est pas précisée. Ce sera aux États membres de décider, tout en sachant que les sanctions doivent être « effectives ». Comprenez par là : faire mal. Et cela nous ramène au début de cet article, c’est-à-dire aux experts-comptables et aux conseillers fiscaux. Certains se demandent haut et fort combien de ces obligations de déclaration leur profession pourra encore supporter. Mais tous poussent le même soupir : « Ce ne sera pas toujours rose d’être fiscaliste en 2020 ! ».
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