L'industrie manufacturière sous haute surveillance fiscale- Prime fiscale - Automation Magazine Mars 2024/45

Jan Tuerlinckx
Winnie Milbou

Pour de nombreuses entreprises, le travail en équipe, qui est maintenant plus essentiel que jamais dans l'activité opérationnelle, constitue une partie intégrante de leur activité. Le travail en équipe est directement lié à un paysage financier et économique en mutation et devrait conduire à une productivité accrue, à une plus grande flexibilité et à une augmentation de l'emploi. En contrepartie, les coûts salariaux accrus associés à l'emploi de travailleurs en équipes successives représentent un défi. Les avocats Winnie Milbou et Jan Tuerlinckx avertissent que les entreprises doivent faire attention à ne pas perdre un avantage fiscal en raison du travail en équipe

Pour de nombreuses entreprises, le travail en équipe, qui est maintenant plus essentiel que jamais dans l'activité opérationnelle, constitue une partie intégrante de leur activité. Le travail en équipe est directement lié à un paysage financier et économique en mutation et devrait conduire à une productivité accrue, à une plus grande flexibilité et à une augmentation de l'emploi. En contrepartie, les coûts salariaux accrus associés à l'emploi de travailleurs en équipes successives représentent un défi. Les avocats Winnie Milbou et Jan Tuerlinckx avertissent que les entreprises doivent faire attention à ne pas perdre un avantage fiscal en raison du travail en équipe.

Afin de fournir aux entreprises un avantage concurrentiel par rapport à nos pays voisins, une incitation fiscale a été introduite pour renforcer la compétitivité des entreprises recourant au travail en équipe. Cette incitation a été mise en place en 2003, au début des années 2000, en corrélation avec les restructurations opérées durant cette période au sein de l'usine d'assemblage automobile de Ford Genk, site belge initial du groupe Ford, dont les activités ont ensuite été transférées vers des sites de Ford situées en dehors de la Belgique. L'année dernière, nous avons célébré le vingtième anniversaire de cette mesure, et il semble que l'administration fiscale considère chaque année anniversaire supplémentaire comme une année de trop.

En principe, l'employeur est tenu de retenir et de verser au Trésor le précompte professionnel sur le salaire du travailleur. Cela permet au travailleur de recevoir un salaire net sur lequel l'impôt des personnes physiques a déjà été en grande partie prélevé, via ce qu'on appelle le « précompte professionnel ». Cependant, dans certains cas, l'employeur a le droit à une dispense partielle du versement de ce précompte professionnel, sans que cela n'impacte la charge fiscale du travailleur.

Prenons un exemple concret : un salarié ayant un salaire brut imposable de 4.000 euros sur lequel 1.000 euros de précompte professionnel doivent être retenus. Le salarié paie l'impôt des personnes physiques selon le barème progressif, et peut imputer le montant total du précompte professionnel retenu par l'employeur, soit 1.000 euros. Cependant, l'employeur bénéficie d'une dispense partielle de précompte professionnel et ne verse pas la totalité des 1.000 euros à la Trésorerie, mais seulement 750 euros. Cette réduction n'a aucun impact sur le salarié, qui peut toujours imputer 1.000 euros de son IPP. En revanche, l'employeur peut conserver 250 euros, considérés comme une subvention imposable dans le calcul de l'impôt sur les sociétés.

La dispense de versement du précompte professionnel pour le travail en équipe vise à soutenir les industries manufacturières confrontées à des coûts salariaux élevés. Elle est accessible aux entreprises où le travail est organisé en équipes d'au moins deux travailleurs réalisant les mêmes tâches, se relayant tout au long de la journée avec un chevauchement ne dépassant pas un quart de la journée de travail. A noter qu’en 2009, il a été précisé que le travailleur concerné doit effectuer au moins un tiers de son temps de travail en équipes ou en travail de nuit chaque mois pour que l'exonération puisse être appliquée par l'employeur.

Pour bénéficier de la dispense de versement du précompte professionnel pour les travaux dits « immobiliers », qui font partie du travail en équipe, les conditions sont quelques peu différentes. Cette exonération est ouverte aux entreprises où le travail est effectué par au moins une équipe d'au moins deux personnes et tant que ces travaux concernent l'immobilier. Bien que cette réglementation soit inscrite dans le Code des Impôts sur les Revenus, elle repose sur la définition des "travaux immobiliers" telle qu'elle est définie dans le Code de la TVA. Cependant, la législation sur la TVA n'a pas été mise à jour selon le nouveau droit des biens repris dans le Code civil. Comprendre cette mesure requiert donc la lecture et la comparaison de l’ensemble trois codes différents, ce qui rend l'application de cette dispense de versement incroyablement complexe.

Il est indéniable que la mesure coûte cher à l'État belge. En 2019, la Cour des comptes a publié un rapport sévère révélant que toutes les dispenses de versements de précompte professionnel en 2017 représentaient une dépense totale de 2,9 milliards d'euros.

 

Pourtant, la législation complexe a par le passé conduit à des lacunes dans les contrôles menés par le SPF Finances. Par exemple, lors des opérations de contrôle en 2017 et 2018, aucun fichier de contribuables à contrôler n'a été transmis aux services opérationnels, en raison d'un désaccord entre le SPF Finances et le cabinet du ministre des Finances sur la définition du terme « travail en équipe ». En décembre 2023, un rapport de suivi a révélé que le coût des régimes de dispenses de versement de précompte professionnel avait augmenté pour atteindre 3,9 milliards d'euros en 2021. L'exonération de précompte professionnel pour le travail en équipe et de nuit représente près de 50% de cette somme.

Bien que seuls quelques cas soient portés devant les tribunaux, jusqu'à présent, c'est surtout la jurisprudence qui a clarifié les notions auparavant vagues. Récemment, la Cour constitutionnel s'est prononcée sur la signification de la notion de « même ampleur » à la suite d'une question préjudicielle de la Cour de cassation. Cette dernière se demandait si la loi violait le principe d'égalité s’il fallait considérer que la notion de « même ampleur » exclue les entreprises dans lesquelles le travail est effectué selon des heures de pointe et creuses, et où l'équipe du matin est toujours plus nombreuse que celle du soir. La Cour constitutionnelle a procédé à une évaluation critique, confrontant l'objectif de la mesure fiscale à son coût, et a conclu que cette interprétation très stricte ne violait pas notre Constitution, notamment le principe d'égalité.

Pour diverses entreprises, l'égalisation stricte des équipes successives signifie en pratique qu'elles ne peuvent plus bénéficier de l'avantage fiscal. Il est toutefois important de noter que l'administration fiscale a depuis longtemps adopté cette position stricte et que l'ampleur des équipes a toujours été l'un des premiers points de contrôle lors de l'application de l'exonération. Le législateur est intervenu en adoptant la loi du 12 mai 2024, publiée au Moniteur belge le 29 mai 2024, proposant une alternative selon laquelle les équipes ne doivent pas nécessairement être alignées en termes d'ampleur. Cependant, cela entraîne des coûts. Les entreprises doivent réduire proportionnellement l'exonération si l'ampleur des équipes diffère. Cet assouplissement est considéré comme un régime de transition, limité dans le temps jusqu'au 31 décembre 2026. De plus, il est possible (et implicitement, peutêtre même nécessaire) de l'appliquer rétroactivement à partir du 1er janvier 2021.

La déclaration fiscale pour l'année 2021 peut être modifiée sur initiative de l'entreprise jusqu'au 31 décembre 2024, par le biais d'une réclamation contre sa propre déclaration. À partir de 2025, cette option ne sera plus disponible, bien qu'il soit toujours théoriquement possible que l'administration fiscale modifie la déclaration et réclame le précompte professionnel non versé. Ce rapport de la Cour des comptes a-t-il eu un impact sur le terrain ? Probablement, car les contrôles ont été considérablement renforcés dans les années qui ont suivi. Bien que la législation n'ait pas été modifiée, l'administration fiscale a adopté l'interprétation la plus restrictive parmi toutes les possibilités, ce qui a souvent placé le gouvernement et les contribuables en désaccord.

Ces contrôles ont révélé une mauvaise préparation. Les entreprises semblaient souvent incapables de dévoiler la réalité sous-jacente de l'exonération appliquée et se sont retrouvées tenues de rembourser l’ intégral du précompte professionnel non versé. Ce n'était pas tant que la réalité divergeait considérablement du calcul numérique, mais plutôt que les preuves à la base de ce calcul étaient souvent perdues ou non documentées de manière cohérente.

La préparation est donc essentielle. Les entreprises doivent avoir une approche intégrée pour évaluer les conditions fiscales du travail en équipes, en déterminant quelles données et quelles justifications sous-tendent ces conditions, et comment ces justifications sont liées à l'activité opérationnelle. Lors d'un contrôle, il doit être possible de démontrer où et quand les équipes ont été déployées, ainsi que les tâches concrètes qui ont été effectuées et rapportées par l'entreprise. Il est crucial que les entreprises comprennent que l'administration fiscale continuera systématiquement à rejeter l'exonération si, lors du contrôle, elles semblent devoir encore constituer le dossier et ne peuvent fournir que le strict minimum.

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AUTOMATION MAGAZINE MARS 2024 / 45

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