Nous sommes plus sévères avec les entrepreneurs qu’avec les politiciens! Edito Trends 15/6/2023

Jan Tuerlinckx
La question des conflits d’intérêts domine le débat politique public. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe apparemment pas de règles claires. Même d’éminents professeurs qui, en tant que théoriciens du droit et experts du vécu, seraient susceptibles de le savoir, ne parlent que de pratiques courantes, et donc d’aucun cadre juridique clair.

En tant que praticien du droit, je me demande si ce cadre juridique existe réellement. Les pouvoirs publics sont bien entendu tenus de respecter les principes de bonne gouvernance. Les autorités doivent agir en toute indépendance et objectivité. Elles doivent faire preuve de fair-play et, si elles se lancent dans la bataille, elles doivent le faire en gardant l’esprit ouvert. Mais il s’agit là de concepts flous qui ne sont pas clairement définis. Les principes ne sont pas inscrits dans la loi. Il s’agit souvent de principes tacites qui doivent être appliqués dans la pratique et peuvent être testés, imposés et sanctionnés par les tribunaux.

Mais cette norme stricte existe, j’y suis très souvent confronté dans la pratique. Et il en va de même pour toute la Belgique entrepreneuriale. Notamment pour les entrepreneurs qui exercent leur activité sous la forme d’une société et qui sont également administrateurs de ladite société. Le droit des sociétés prévoit une réglementation claire lorsqu’un administrateur est confronté à un conflit d’intérêts. Ce conflit d’intérêts peut être direct ou indirect. Il doit être de nature patrimoniale et peut théoriquement aller à l’encontre de la société. Il va sans dire que le législateur a très largement défini le concept de « conflit d’intérêts » pour les administrateurs.

Le nouveau Code des sociétés est entré en vigueur en 2020. Le législateur a modifié la disposition relative aux conflits d’intérêts. Auparavant, un administrateur devait seulement signaler qu’il avait un conflit d’intérêts, en y joignant toutefois un rapport spécifique. En 2019, le législateur a durci le ton et imposé aux administrateurs de s’abstenir de participer à la prise de décision. L’opinion sociale et politique sur la gestion des conflits d’intérêts est donc clairement devenue plus stricte. Cela se reflète également dans les sanctions. Toute violation entraîne la nullité de la décision prise, et les administrateurs peuvent être tenus responsables de leurs actes. Il est intéressant de savoir comment la classe politique évalue l’intégrité de nos entrepreneurs-administrateurs.

Existe-t-il d’autres liens entre la politique et le droit des sociétés ? Force est de constater que oui. Si les règles du droit des sociétés ne suffisent pas, il convient d’examiner les règles applicables à notre parlement. Je ne me sens pas suffisamment calé en droit constitutionnel pour juger si l’inverse peut également s’appliquer. Mais je suppose que de nombreux entrepreneurs-administrateurs seront d’avis que les politiques devraient respecter les mêmes normes que les entrepreneurs.

Lorsque je rentre fourbu le soir après avoir beaucoup cogité en vue de rédiger cette chronique, il m’arrive d’entendre le compte-rendu d’un match de football. On y apprend que tel ou tel joueur n’a pas été autorisé à participer au match. Pas parce qu’il est sanctionné ou suspendu. Pas parce qu’il n’est pas en forme. Mais parce qu’il s’agit d’un joueur prêté. Je ne suis pas juriste dans le domaine du sport, mais une pratique semble courante dans le football : lorsque des clubs ayant conclu des accords de prêt entre eux s’affrontent, le joueur prêté reste soigneusement à l’écart. Le monde du football l’a donc bien compris : Justice must not only be done, it must also be seen to be done (la justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit également donner l’impression d’avoir été rendue). Et permettez-moi de terminer par un trait d’esprit peut-être déplacé. Si même le monde du football l’a compris, il n’y a aucune raison de supposer que le reste du monde ne puisse pas le comprendre.

L’auteur, JAN TUERLINCKX, est avocat associé chez Tuerlinckx Tax Lawyers: jan.tuerlinckx@tuerlinckx.eu

 

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