Le point sur la valorisation des « avantages de toute nature logement » : bientôt (presque) la fin de l’insécurité juridique
Certaines entreprises proposent, dans leur plan de rémunération, de mettre un immeuble à disposition de leurs employés et/ou de leurs administrateurs. Cette mise à disposition de l’immeuble est un avantage de toute nature (ci-après « ATN logement ») imposable au titre de rémunération dans le chef de ces travailleurs et/ou administrateurs.
Comme tout avantage, il faut lui attribuer une valeur (réelle ou forfaitaire) qui constituera la base de calcul de la taxation à l’impôt des personnes physiques. Pour les ATN logement, cette valeur est forfaitaire.
Jusqu’il y a peu, la règle de valorisation de l’ATN était inconstitutionnelle parce qu’elle instaurait une discrimination entre les personnes recevant un tel avantage d’un employeur personne physique et celles le recevant d’un employeur personne morale (voir le point I et II). Ces dernières étaient, en effet, beaucoup plus lourdement taxées que les premières, sans qu’il soit possible de justifier cette différence de traitement.
Très récemment, un arrêté royal est venu modifier la règle d’évaluation pour supprimer la différence de traitement injustifiée. Désormais, l’ATN sera valorisé à 100/60 du revenu cadastral x 2 pour tout le monde (voir le point III).
Les problèmes ne sont cependant pas finis pour les contribuables ayant été taxés par le passé, sur base de l’ancienne règle de valorisation. Leurs recours pour obtenir le dégrèvement de la surtaxe qui en résulte, sont quasiment toujours rejetés par l’administration, suivie par certains tribunaux (voir le point IV).
Qu’ils ne perdent pas espoir pour autant. Le 31 janvier 2019, le Tribunal de Première Instance de Gand a rendu un jugement ordonnant à l’administration fiscale, le dégrèvement partiel de la cotisation fiscale établie sur base de l’ancienne règle de valorisation.
L’évolution de cette matière ainsi que les conséquences pratiques pour les contribuables sont développées ci-après.
I. L’inconstitutionnalité mise en évidence par les Cours d’appel de Gand et d’Anvers en 2016 et 2017
Jusqu’au 31 décembre 2018, l’ATN était valorisé par l’article 18, §3, 2 de l’Arrêté d’exécution du Code d’impôts sur les revenus (ci-après « AR/CIR 1992 ») de la manière suivante :
- Si le logement était mis gratuitement à disposition par un employeur personne physique : 100/60 ou 100/90 du revenu cadastral de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble selon qu’il s’agit d’un immeuble bâti ou non bâti (majoré de 2/3 pour les logements meublés) ;
- Et s’il était mis gratuitement à disposition par un employeur personne morale : 100/60 du revenu cadastral (indexé) multiplié par 1,25 si le revenu cadastral était inférieur ou égal à 745 EUR ou 100/60 du revenu cadastral (indexé) multiplié par 3,8 si le revenu cadastral était supérieur à 745 EUR (majoré de 2/3 pour les logements meublés).
En application de cet article, celui qui était employé par une personne morale et qui bénéficiait gratuitement de la mise à disposition d’un immeuble était donc plus lourdement taxé que celui qui travaille pour un employeur personne physique (la valeur de l’avantage de toute nature était multipliée par 1,25 ou par 3,8 dans le chef du premier mais pas dans le chef du second).
En 2016 et 2017, les Cours d’appel d’Anvers et de Gand ont mis en évidence la discrimination prohibée par la Constitution instaurée par cette règle de valorisation (Gand, 24 mai 2016 et Anvers 25 janvier 2017).
II. La circulaire du 15 mai 2018 dans l’attente d’une modification législative
Autrement dit, cette règle de valorisation était totalement inconstitutionnelle, ce qui a été finalement accepté par l’administration fiscale. En effet, dans l’attente d’une adaptation législative, l’administration a pris une circulaire du 15 mai 2018 qui évaluait l’avantage résultant de la mise à disposition gratuite d’un immeuble par une personne moral à 100/60 du revenu cadastral, donc sans coefficient de 3,8 ou 1,25 (majoré éventuellement de 2/3 s’il s’agissait d’un logement meublé).
III. L’adaptation de la règle de valorisation par l’Arrêté royal du 7 décembre 2018
A la fin de l’année 2018, un Arrêté royal du 7 décembre 2018 est enfin venu modifier l’article 18, §3, 2 AR/CIR 1992 pour supprimer l’inconstitutionnalité.
Désormais, aussi bien pour les mises à disposition d'un immeuble par une personne physique que par une personne morale, l'avantage sera évalué comme suit :
- Pour les immeubles bâtis : 100/60 du RC x 2 (à majorer de 2/3 si l'habitation est meublée)
- Pour les immeubles nonbâtis : 100/90 du RC.
La discrimination entre les avantages accordés par une personne morale ou par une personne physique a été supprimée puisque tout le monde se verra appliquer un coefficient de 2. Le législateur a donc préféré revoir la règle à la baisse pour les mises à disposition d’immeuble par une personne morale mais à la hausse, celles établies par une personne physique. Les perdants de l’histoire sont ceux qui bénéficient d’un logement mis à disposition par une personne physique puisqu’ils seront taxés deux fois plus qu’avant (aucun coefficient ne leur était applicable auparavant).
Par ailleurs, la distinction selon que le RC dépasse 745 EUR ou non, est également supprimée.
A noter que l’Arrêté royal du 7 décembre 2018 précise que cette nouvelle règle de valorisation ne s’applique qu’aux avantages attribués à partir du 1er janvier 2019 (exercice d’imposition 2020).
IV. Récapitulatif et conséquences pratiques
Procédons année par année.
1. Les avantages de 2019 : nouvelle règle de valorisation de l’Arrêté royal du 7 décembre 2018 (100/60 du RC X2)
Pour les ATN logement attribués en 2019, la nouvelle règle s’appliquera. L’avantage sera donc évalué dans tous les cas :
- à 100/60 du RC x 2 pour les immeubles bâtis (à majorer de 2/3 si l'habitation est meublée) ;
- à 100/90 du RC pour les immeubles nonbâtis.
2. Les avantages de 2018 : règle de valorisation de la circulaire du 15 mai 2018
Pour les avantages accordés en 2018, les contribuables devraient encore pouvoir se prévaloir de la circulaire du 15 mai 2018 qui évalue l’avantage à :
- Pour les mises à disposition par une employeur physique : 100/60 ou 100/90 du revenu cadastral de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble selon qu’il s’agit d’un immeuble bâti ou non bâti (majoré de 2/3 pour les logements meublés) ;
- Pour les mises à disposition par un employeur personne morale : à 100/60 du revenu cadastral, donc sans coefficient de 3,8 ou 1,25 (majoré éventuellement de 2/3 s’il s’agissait d’un logement meublé).
En effet, la nouvelle règle de valorisation de l’AR du 7 décembre 2018 ne s’applique qu’aux avantages accordés à partir du 1er janvier 2019. La circulaire du 15 mai 2018 devrait donc restée pleinement applicable aux avantages de 2018 en vertu du principe de confiance légitime.
3. Les avantages accordés avant 2018 : réclamation ou procédure de dégrèvement d’office
Pour les avantages accordés avant 2018 (et ayant appliqué l’ancien coefficient inconstitutionnel de 3,8 de l’AR/CIR 1992 avant sa modification), cela devient plus compliqué.
Si le contribuable n’a pas introduit de réclamation dans les 6 mois de l’envoi de l’avertissement-extrait de rôle, il ne lui reste alors plus que la voie de la procédure du dégrèvement d’office pour contester la cotisation (Article 376 du Code d’impôts sur les revenus, ci-après « CIR 1992 »).
La procédure de dégrèvement d’office permet, comme son nom l’indique, de demander, après l’expiration du délai de réclamation de 6 mois, le dégrèvement d’une taxation établie dans les 5 années précédant l’introduction de la demande de dégrèvement d’office.
Pour que le dégrèvement soit accordé, certaines conditions doivent être réunies. S’agissant de la problématique des « ATN logement », il doit notamment s’agir de surtaxes qui apparaissent à la lumière de documents ou faits nouveaux probants, dont la production ou l’allégation tardive par le redevable est justifiée par de justes motifs.
L’article 376 CIR 1992 précise également qu’un changement de jurisprudence n’est pas considéré comme un « fait nouveau » justifiant un dégrèvement d’office.
Suite aux arrêts des Cours d’appel de Gand et Anvers (voir le point I), certains contribuables ont introduit des procédures de dégrèvement d’office, que l’administration fiscale a quasiment systématiquement rejetées au motif que ces arrêts n’étaient pas un « fait nouveau » au sens de l’article 376 CIR 1992 mais un changement de jurisprudence. C’est par ailleurs ce que prescrit expressément la circulaire du 15 mai 2018.
Les contribuables n’en sont pas restés là et ont porté leur affaire devant les tribunaux, qui ont quasiment toujours suivi cette position de l’administration (voy. par exemple, le jugement du Tribunal de Première Instance de Bruges du 18 avril 2018).
Fort heureusement, toutes nos juridictions ne sont pas de cet avis. En effet, dans un très récent jugement du 31 janvier 2019, le Tribunal de Première Instance de Gand, a jugé que les arrêts des Cours d’appel de Gand et d’Anvers ne pouvaient être considérés comme un simple « changement de jurisprudence » parce qu’il s’agit d’une déclaration d’inconstitutionnalité ouvrant le droit à une procédure de dégrèvement d’office.
Le Tribunal a mis l’accent sur la nécessité de remédier à une disposition déclarée inconstitutionnelle.
C’est donc une très bonne nouvelle et certainement un élément à invoquer pour ceux qui :
- Ont introduit une procédure de dégrèvement d’office encore en cours de traitement par l’administration ;
- Se sont vus rejeter leur demande de dégrèvement d’office par l’administration et souhaitent introduire un recours auprès du Tribunal ;
- Sont actuellement en procédure judiciaire.
L’on peut espérer que désormais, les autres juridictions suivront le même raisonnement que celui du Tribunal de Première Instance de Gand et feront, elles aussi, primer la légalité et la constitutionnalité.
On commence donc à voir enfin le bout du tunnel , dans cette problématique…. pour laquelle, une grande insécurité règne depuis plusieurs années.
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