Le Soir - Cécile Danjou: Comment déclarer les droits d'auteur avec les nouvelles règles?

Baptistin Alaime
Cécile Danjou

C ’est un feuilleton qui a fait couler beaucoup d’encre et animé de nombreux débats au sein de plusieurs secteurs professionnels. Et ce n’est visiblement pas encore fini… Le très avantageux régime des droits d’auteur, une niche fiscale créée en 2008, a été revu il y a deux ans par le fédéral, qui a mis le holà aux abus constatés dans la pratique. 

La réforme votée fin 2022 impose un régime toujours fiscalement avantageux, mais plus contraignant et qui s’adresse à moins de monde. Pour faire le pont entre l’ancien et le nouveau système, le fisc applique toutefois une période transitoire d’un an qui concerne les revenus 2023 – à déclarer cette année donc. Tout se passe dans le cadre VII de la déclaration, qui regroupe les revenus mobiliers en général. Qui est concerné par quoi ? Que faut-il déclarer ? On fait le point.

Moins de professions concernées.

L’idée est qu’une œuvre génère des droits que son créateur peut céder, générant une rémunération. Celle­ci peut être perçue que l’on soit salarié(e) ou in dépendant(e) et est plus faiblement taxée (à 15 %). Voilà pour le principe général.

La première chose qu’a faite le législateur et qui pose le plus de problèmes aujourd’hui, c’est de redéfinir qui peut bénéficier ou pas du régime des droits d’auteur. La réforme prévoit qu’il s’applique désormais aux auteurs et autrices d’œuvres artistiques et littéraires, ainsi qu’aux artistes qui réalisent des prestations ou sont interprètes. « Les personnes concernées doivent être titulaires d’une attestation du travail des arts. Celle-­ci est délivrée par la commission du travail des arts », indique Baptistin Alaime, avocat fiscaliste au sein du cabinet Tuerlinckx Tax Lawyers.

Pour ceux qui ne possèdent pas ce sésame, tout n’est pas perdu pour autant. La loi prévoit d’autres conditions pour avoir accès au nouveau régime. Et notamment le fait de céder les droits de son œuvre pour que celle-­ci soit publiée, reproduite ou communiquée au public. « Il faut démontrer que l’œuvre et la création sont accessibles à un public large », précise Nathalie Jooris, conseillère fiscale chez Kiu Account. « Pour un graphiste qui travaille dans l’événementiel, qui fait lui­-même son site, ses flyers, ça fonctionne. » Même chose pour les journalistes ou un avocat qui écrit dans une revue spécialisée. Par contre, les métiers de l’informatique, et notamment les programmateurs IT, en sont exclus, tout comme les architectes… en théorie. Mais tout cela est à prendre avec des pincettes car les interprétations peuvent être très divergentes et l’administration tarde à se positionner sur la matière (lire par ailleurs).

De nouvelles règles du jeu.

Techniquement, les nouvelles règles du jeu, d’application depuis début 2023, prévoient qu’une partie moins importante de la rémunération puisse être considérée comme droits d’auteur. Auparavant, certains professionnels facturaient 100 % de leur travail en droits d’auteur, d’autres 50 %. Tout cela est désormais uniformisé. Petit à petit. Ainsi, l’année passée, la proportion de droits d’auteur dans l’enveloppe financière globale ne devait pas dépasser 50 %. Cette année (revenus à déclarer l’année prochaine), on réduit à 40 %. Et en 2025, les proportions définitives entreront en application : 30 % de droits d’auteur maximum, les 70 % restants étant des revenus professionnels classiques. Les droits d’auteur qui dépassent la limite seront considérés par le fisc comme des revenus professionnels et taxés comme tels.

Transition : des plafonds deux fois plus bas.

En plus de cette règle de répartition, les personnes qui bénéficient du nouveau régime ont un plafond à respecter : maximum 70.220 euros de droits d’auteur cette année (montant indexé). A noter que ce plafond ne peut pas non plus être dépassé sur la moyenne des quatre derniers exercices. Au niveau des frais, il y a aussi des restrictions. Des frais ? « Le législateur considère que pour créer des droits d’auteur, on a certains frais », explique Baptistin Alaime. « Ces derniers sont difficiles à calculer. Alors, un forfait – plutôt avantageux – est prévu. Dans le nouveau régime, il est plus strict qu’avant. » Ce forfait déductible (sauf si l’on choisit de faire des frais réels) décroît progressivement : il s’élève à 50 % sur les premiers 18.720 euros de droits d’auteur, puis 25 % entre 18.720 euros et 37.450 euros. Au­delà, plus de déduction possible. En tout, sur une année, on peut donc déduire un total de 14.042,5 euros maximum.

Ceux qui n’entrent pas dans les conditions pour bénéficier du nouveau régime pouvaient encore, en 2023, facturer des droits d’auteur grâce au régime transitoire d’un an. Mais avec des limites, deux fois plus restrictives : un plafond maximum à 35.110 euros. Même chose pour les paliers prévus pour les frais : 50 % de déductibilité sur les premiers 9.360 euros, 25 % entre 9.360 et 18.720 euros.

Et dans la déclaration ?

Au final, qu’est­-ce que tout cela donne dans la déclaration? Comme on l’a indiqué au début, il faut se rendre au cadre VII, section D. Là, l’administration a prévu deux parties : l’une pour les « revenus qui entrent en considération pour le nouveau régime » et une autre pour ceux qui dépendent du « régime transitoire ». Là, il faut déclarer les revenus reçus en droits d’auteur, les frais et le précompte mobilier versé à l’employeur ou au client. « Attention, il n’est pas libératoire, il doit être mentionné dans la déclaration », précise Baptistin Alaime. Pour rappel, ce précompte s’élève à 15 % des droits d’auteur, auxquels on soustrait les frais déductibles. Ça revient à une taxation effective entre 7,5 et 12 %. Très avantageux donc. Précisons que la partie « honoraires » ou salaire est, elle, taxée normalement, comme n’importe quels revenus professionnels.

En général, pas besoin de faire les calculs vous-­même : tous les chiffres sont déjà repris dans votre déclaration. Les montants à compléter (ou à vérifier) se trouvent sur la fiche 281.45 que votre employeur/client vous a théoriquement fournie.

Encore des zones d'ombre et d'insécurité.

La réforme des droits d’auteur pose décidément de fameuses difficultés d’application. 

« Il y a énormément de litiges fiscaux pour le moment sur le sujet », constate Baptistin Alaime. Et pourtant, voilà bientôt un an et demi que le texte est entré en application.

Qu’est­ce qui coince ? Principalement le fait de savoir quelles œuvres et quels auteurs peuvent bénéficier du nouveau régime. 

« Par exemple, le texte prévoit que l’œuvre doit être “originale”. Il y a des discussions là-dessus. L’administration fiscale a tendance à confondre original et artistique, alors que c’est complètement différent. » Autre point qui prête à confusion : la communication  «publique» de l’œuvre. « Qu’est­ce que ça veut dire ? Est-­ce que c’est tout le monde, comme une chanson de Taylor Swift, ou est­-ce que ça peut être un public plus restreint ? », interroge notre interlocuteur.

Résultat : des demandes de rulings déposées par des professionnels, des employeurs ou des fédérations sectorielles patientent auprès du Service des décisions anticipées, qui tarde à se prononcer. 

« Le souci, c’est qu’il n’y a pas encore de circulaire. Or, ce serait bien que l’administration se positionne pour éviter les erreurs et pour donner plus de sécurité », pointe Baptistin Alaime. « Parfois, ça passe, parfois, ça ne passe pas, Ça change tellement au niveau des droits d’auteur qu’à la fin, on en perd notre latin », acquiesce en soupirant Nathalie Jooris. C.DA. 

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