Les fonctionnaires ne peuvent plus suivre
Beaucoup d’encre a coulé sur la prolifération des codes dans la déclaration fiscale. Le formulaire de cette année en compte 810, soit 38 de plus que l’an dernier. «Je pourrais même prédire le nombre de nouvelles cases qui feront leur apparition sur le formulaire de déclaration de l’an prochain, sourit l’avocat spécialiste en droit fiscal Jan Tuerlinckx. Il y a trois facteurs à prendre en compte. Le premier est une constante: chaque année, le nombre de cases augmente de 10%. Ensuite, il y a deux facteurs variables. D’abord: plus le déficit public est élevé, plus le nombre de cases augmente. Deuxièmement: plus on transfère de compétences de l’Etat fédéral vers les régions, plus la déclaration devient complexe.»
Seule une minorité de contribuables utilisent plus de 20 codes : l’augmentation du nombre de codes année après année constitue- t-elle réellement un problème ?
JEF WELLENS. La déclaration compte de nombreux nouveaux codes qui n’intéressent que les habitants d’une région donnée. Le ministre des Finances Johan Van Overtveldt nous vend ces 38 nouveaux codes comme une bonne nouvelle, comme des réductions d’impôts, notamment celle accordée aux starters. Mais la plupart de ces nouveaux codes trouvent leur origine dans la désagrégation totale de la fiscalité des emprunts hypothécaires entre le pouvoir fédéral et les régions à la suite de la sixième réforme de l’Etat.
MICHEL MAUS. Le système est si peu logique que plus personne n’y comprend rien. Imaginez que vous habitiez en Flandre et soyez propriétaire d’un chalet dans les Ardennes. Vous avez isolé la toiture de votre chalet. Je pense que de nombreux Flamands se tromperont et penseront que c’est la Région wallonne qui doit accorder une réduction d’impôt. Mais ce n’est pas le cas. C’est la Région flamande qui doit accorder une réduction d’impôt pour une dépense faite sur une maison en Wallonie. C’est vraiment incroyable.
J.W. A mes yeux, les modifications apportées chaque année aux rubriques sont plus problématiques que l’augmentation du nombre de codes. Car comment remplissez- vous votre déclaration d’impôts? Vous prenez celle de l’année précédente et vous recopiez. La plupart des contribuables qui complètent eux-mêmes leurs déclarations procèdent ainsi. Or la case destinée aux crédits logement a été complètement bouleversée pour la deuxième année d’affilée. C’est absurde, car il s’agit notamde la principale dépense déductible dont nous disposons en Belgique. Et ce sera encore plus compliqué à partir de l’an prochain, car tant la Flandre que la Wallonie ont à nouveau modifié le système du bonus logement pour les nouveaux crédits. Cette case de la déclaration est complètement hors de contrôle.
JAN TUERLINCKX. Plus il y a de cases, compliquées de surcroît, plus le nombre d’erreurs augmente. Actuellement, chaque contribuable reçoit la même déclaration. Ne serait-ce pas un début de simplification si l’on en supprimait automatiquement les codes dont on sait pertinemment qu’ils n’intéresseront pas un contribuable, ne serait-ce que pour des raisons géographiques? Il ne sera plus obligé de lire des notes de bas de page pour identifier les codes qu’il doit utiliser.
A peine un million de Belges remplissent encore leur déclaration fiscale sur papier. Les 5,7 millions restants utilisent Tax-on-web ou reçoivent une déclaration simplifiée. Et dans Tax-onweb, tout ou presque est rempli à l’avance. Pratique, non?
M.M. On peut effectivement saluer le fait que de nombreux codes soient déjà remplis dans Tax-on-web. Mais uniquement si le système est transparent et si tout le monde peut le contrôler aisément. Or, le système est devenu à ce point complexe que plus personne n’y comprend rien. En revanche, je suis radicalement opposé à cette déclaration simplifiée. C’est abrutissant. C’est comme suivre un GPS. On constate qu’il n’y a eu que 5% de réactions à des déclarations préremplies. Les 95% restants acceptent cette déclaration préremplie les yeux fermés.
J.T. Il faut aussi voir ce qui est rempli à l’avance dans Tax-on-web. Il s’agit de données de revenus et de postes de déduction simples. L’impôt maximum est introduit dans le système, le contribuable ne bénéficie d’aucun accompagnement pour vérifier ce qu’il pourrait encore déduire ou comment il pourrait optimiser sa situation fiscale.
M.M. Je suis convaincu que si l’on faisait un contrôle à grande échelle de toutes les déclarations préremplies, on constaterait que de nombreuses économies d’impôt ne sont pas appliquées. Par exemple, chaque professeur peut déduire une partie de son habitation au titre de frais professionnels.
J.W. Tous ceux qui font du télétravail utilisent une partie de leur habitation. Cette partie de l’habitation est une compétence fédérale, alors que l’autre partie de l’habitation relève des compétences régionales. Cela ne posait aucun problème avant la réforme de l’Etat. Tax-on-web n’offre aucune aide dans la déclaration des crédits logement. Le projet du ministre des Finances – reprendre automatiquement les intérêts et les amortissements de capital dans la déclaration électronique – est resté lettre morte. La matière est si complexe qu’ils n’auraient jamais pu remplir les montants correctement, a fortiori de les optimiser. Auparavant, il existait un module qui calculait automatiquement comment déclarer les dépenses liées à un crédit logement pour obtenir une économie d’impôt maximale, mais il a disparu de Tax-on-web. Avec la prolifération de régimes fédéraux et régionaux, il est impossible à programmer. Le ministre lui-même l’a reconnu récemment.
Est-ce à l’administration qu’il revient d’aider les contribuables à payer moins d’impôts? Le raisonnement du fisc est peut-être: plus il y a de recettes pour l’Etat, mieux c’est.
J.T. Vous avez le droit de payer vos impôts de la manière la plus correcte et avantageuse possible. Imaginez qu’un contribuable introduise une déclaration de bonne foi. N’est-ce pas une règle de bonne gouvernance que le fisc tente de prélever l’impôt le plus correct possible pour le contribuable?
M.M. C’est ce que fait le fisc dans certaines circonstances. Par exemple, si vous justifiez vos frais professionnels réels et qu’il s’avère que les frais forfaitaires sont plus élevés que le montant déclaré, le fisc appliquera lui-même le forfait parce que ce sera plus avantageux pour le contribuable. En matière de fiscalité du logement, ce n’est pas le cas. C’est donc une mauvaise nouvelle pour tous les contribuables qui font appel à des fonctionnaires pour faire remplir leur déclaration. Ils n’ont pas la certitude qu’elle est correcte à 100%.
J.W. De nombreuses erreurs sont commises lorsque l’on remplit la déclaration, y compris par les fonctionnaires du fisc. Il y a aussi des exemples de déclaration qui ont été modifiés par le fonctionnaire après leur introduction, parce qu’il ne savait pas qu’il existait certaines possibilités d’optimiser des crédits logement. On pense par exemple que la réduction d’impôt pour l’épargne logement pour les prêts d’avant 2005 et le bonus habitation ne sont pas conciliables. Mais rien n’empêche de les associer.
J.T. Dans de très nombreux cas, la législation est devenue technique non seulement pour le contribuable, mais aussi pour l’administration elle-même. Outre l’impôt des personnes physiques, il est très difficile de rester à la page en matière d’impôt des sociétés. Et pour les fonctionnaires, il est tout aussi difficile de suivre. L’Etat souffre ainsi d’un handicap dans ses contrôles par rapport aux contribuables qui peuvent faire appel à des experts fiscaux qui connaissent tout de A à Z. Une telle situation n’apporte rien à personne. Elle ennuie le contribuable et n’est pas efficace pour l’Etat.
Le SPF Finances a récemment publié un Top 5 des erreurs les plus fréquemment commises dans la déclaration d’impôt. En première position, on trouve: «Oublier de déclarer certains revenus »…
M.M. Ce qui m’étonne, c’est que la fiscalité du logement n’arrive qu’en troisième position, et que l’on commettrait davantage d’erreurs dans la déclaration des dons.
Tous ces contribuables auraient-ils vraiment oublié de déclarer ces revenus?
M.M. Il peut par exemple s’agir de revenus mobiliers de l’étranger que l’on a oublié de déclarer.
J.W. Ou de revenus de l’économie du partage, comme les revenus de la location d’habitations et d’appartements via Airbnb, que le fisc commence peu à peu à découvrir.
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