
Si le mouvement est taxé,
l’art sera de rester immobile.
Column Trends: Jan Tuerlinckx

La taxe sur les plus-values des actifs financiers a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, elle verra bel et bien le jour, et il faudra apprendre à s’en accommoder dans la pratique. Toutes les transactions à titre onéreux, à l’exception des apports dans des sociétés, seront imposables.
Les analyses menées aux niveaux macro- et microéconomique sont particulièrement intéressantes, et les observations formulées dans le cadre de l’avant-projet de loi sont souvent très pertinentes. L’idée que les contribuables vont « fuir » est une observation pertinente. Cette fuite ne s’accompagnera d’ailleurs que rarement d’un changement de domicile, mais sera plutôt une modification du type d’investissement et de l’organisation du patrimoine.
Quoi qu’il en soit, la pratique devra bientôt composer avec le nouveau texte de loi et sa mise en œuvre concrète. Et il ne faut pas s’étonner que cela soulève de nombreux problèmes d’interprétation, parfois dans des domaines totalement inattendus. Les actifs financiers n’ayant jusqu’à présent pas été systématiquement taxés, de nombreuses questions essentielles de fiscalité ont été ignorées pendant des années dans l’analyse fiscale, sous prétexte qu’elles n’étaient « pas importantes ». Elles le seront certainement à l’avenir.
L’un des points les plus délicats est de savoir si l’apport d’actions dans une société simple déclenche l’imposition ou non de la nouvelle taxe sur les plus-values. Avant même que la loi ne soit définitivement adoptée, elle fait déjà l’objet d’âpres discussions dans la doctrine. L’avant-projet de loi stipule que les plus-values réalisées à la suite de l’apport d’actions dans une autre société sont exonérées de la taxe sur les plus-values. Certains estiment que le législateur fiscal fait ici référence aux sociétés au sens du droit des sociétés, les sociétés simples étant bien sûr considérées comme des sociétés (bien que dépourvues de personnalité juridique). Le registre UBO, fondé sur le droit des sociétés, en est une illustration : les associés de la société simple doivent être inscrits au registre, car ils sont considérés comme des actionnaires d’une société au sens du droit des sociétés.
Selon cette interprétation, un apport dans une société simple n’entraînerait donc pas d’imposition. Cependant, comme l’a déjà fait remarquer le Conseil d’État dans son avis sur l’avant-projet de loi, une lecture littérale de la disposition législative proposée implique une interprétation de la notion de « société » au sens du Code des impôts sur les revenus. Selon ce code, les sociétés sont des entités dotées d’une personnalité juridique, une société simple n’en fait donc pas partie. Un apport d’actions dans une société simple serait donc pleinement imposable.
Même indépendamment de la qualification juridique des sociétés simples, une question se posera dans la pratique : dans quelle mesure l’apport dans une société simple constitue-t-il une « réalisation » ? Le flou qui règne actuellement sur la portée de la notion de « réalisation » dans l’avant-projet de loi posera également des difficultés en matière de planification successorale et patrimoniale. On peut se demander si de nombreuses techniques utilisées dans ce domaine peuvent donner lieu à une taxe sur les plus-values parce qu’elles impliquent, d’un point de vue strictement juridique, une réalisation. Pensons notamment aux clauses d’accroissement et aux autres formes de contrats aléatoires, fréquemment utilisés dans ce type de structures. Et qu’en est-il des prêts d’actions ?
À partir de quand peut-on parler d’une transaction à titre onéreux ? Quand une plus-value imposable est-elle effectivement réalisée ? On pourrait croire que la réponse à cette question se trouve facilement dans le Code des impôts sur les revenus. Il n’en est rien. La « réalisation fiscale » est une notion rare et floue. La disposition censée donner une orientation stipule : « L’impôt dû pour un exercice d’imposition est établi sur les revenus que le contribuable a recueillis pendant la période imposable. » La jurisprudence n’est pas très utile non plus : elle ne dit rien sur ce qu’est exactement une réalisation, mais seulement sur le moment où elle est imposée. Le droit fiscal s’inspire du droit comptable, mais ce dernier baigne dans le même flou artistique.
Force est de conclure que la mise en œuvre pratique de la taxe sur les plus-values s’accompagnera inévitablement d’une grande insécurité juridique. La notion de « réalisation fiscale » est sous-développée tant dans la loi que dans la jurisprudence et la doctrine, rendant impossible toute prévision quant à la portée réelle de la taxe dans la pratique. Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette taxe vise à imposer le mouvement des actifs financiers et les plus-values qu’il génère. Sa mise en œuvre s’accompagnera donc de stratégies de planification patrimoniale destinées à limiter autant que possible les mouvements de patrimoine privé. Si le mouvement est taxé, l’art sera de rester immobile.
Jan Tuerlinckx – est associé fondateur deTuerlinckx Tax Lawyers
Bas Minten – Avocat | Senior Associate
Le column est traduit du néerlandais